Ingrid Falaise : se servir d'une épreuve pour aider les autres

Ingrid Falaise a vécu l’horreur sous l’emprise de celui qu’elle surnomme M, qui l’a manipulée et entraînée dans le cycle infernal de la violence amoureuse.

couverture-ingrid-falaise Aujourd’hui, par ses conférences, ses livres et la série télévisée qui relate son histoire, elle lève le voile sur une réalité qui touche un très grand nombre de Québécoises et de Québécois. La quantité de témoignages qu’elle reçoit chaque jour en est la preuve, et témoigne de la nécessité qu’une personnalité publique brise ce tabou.

Les cas de violence conjugale sont très nombreux, au Québec comme ailleurs. Que pourrait-on faire, selon vous, pour améliorer la situation ?

Ce qui est difficile, c’est de s’en sortir. Comme je le dis en conférence, ça commence par une histoire d’amour, par de la séduction. Les M nous étudient, nous charment. Ils nous donnent toute l’attention qu’on a toujours voulue. Ça semble normal, mais tranquillement, ils nous manipulent. C’est tellement insidieux que tu ne te rends pas compte qu’ils briment tranquillement ta personnalité. C’est ça la complexité : il y a une histoire d’amour à la base. S’il n’y en avait pas, la violence amoureuse ne serait pas possible.

Ce qu’on peut faire, c’est sensibiliser nos jeunes, leur parler, donner des conférences, juste pour qu’ils soient un peu plus alertes. Peut-être qu’ils vont partir plus tôt, que ça va leur donner des armes supplémentaires. Je pense qu’à la base, il faut enseigner à nos enfants le respect. Le respect de soi et des autres. Si on commence par ça, par la base, peut-être qu’on va en réchapper quelques-unes et quelques-uns. Il y a encore beaucoup de préjugés entourant les victimes de violence conjugale. On comprend mal quand on ne l’a pas vécu. On se demande pourquoi la personne ne part pas. Mais il faut expliquer, comme je le fais en conférence, tout le mécanisme derrière, qui est le même pour chaque personne.

Après la publication du Monstre, vous avez reçu plusieurs témoignages de personnes qui sont aussi passées par là. Est-ce difficile de devenir en quelque sorte la confidente et la porte-parole de ces personnes ?

Je reçois au moins une quinzaine de témoignages par jour, et je réponds à tout le monde. Après la sortie des livres et de la série, il y a eu des vagues de dénonciation. Chaque personne me raconte son histoire d’horreur et me demande des conseils. Souvent, je les réfère à SOS violence conjugale ou je les invite à lire mes livres. Je ne suis pas une thérapeute, mais ça leur fait du bien de se confier. Ces personnes n’ont pas à se justifier, je les comprends très bien. C’est certain que c’est difficile, mais c’est aussi grâce à elles que j’ai pu aller mieux. Réaliser que je ne suis pas seule m’a enlevé la honte et la culpabilité.

Vous avez aussi écrit le livre Le Monstre : la suite, qui parle de votre vie après vous être enfuie de M. Comment se sont passés les premiers instants après avoir pris la décision de fuir ?

Les premières années ont été très difficiles. Tu as envie de reprendre ta vie en main, mais tu dois réapprendre à vivre en société. Tu as été sous l’emprise de quelqu’un et ne sais plus comment vivre sans son emprise. Et les mécanismes de défense embarquent. Ma mère ne pouvait plus me toucher parce que soudainement, je recevais trop d’amour. M m’avait fait croire que je ne le méritais pas. Il faut réapprendre à s’aimer. La marche vers la reconstruction est longue. Ça m’a pris 16 ans.

Votre reconstruction est notamment passée par votre conjoint, Cédrik. Vous êtes mariés, avez un bébé. Était-ce difficile de faire confiance à nouveau ?

C’était la plus grosse étape. Pour moi, vulnérabilité égalait danger. Je le quittais toutes les deux semaines. Il revenait, me disait qu’il était là pour rester. Il a fallu que je rencontre un homme assez intelligent émotivement pour comprendre d’où je venais. On est vraiment choyés de s’être trouvés.

On peut vous voir ensemble à Canal Vie dans l’émission Notre premier flip. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

C’est un projet hyper lumineux ! Mon chum est entrepreneur général. On a acheté une maison d’horreur qu’on a jetée par terre, et qu’on rebâtit en deux condos clés en main. On a gardé seulement l’enveloppe. Plein de situations qui n’étaient pas prévues se sont présentées à nous. On nous suit dans toutes les étapes de la rénovation, et des professionnels commentent.

Était-ce éprouvant pour votre couple ?

Nous n’en étions pas à nos premières rénovations ensemble. Je faisais partie de la compagnie de mon chum bien avant le flip. On travaille très bien ensemble. Ce n’est pas toujours facile et c’est beaucoup de travail, mais ça se passe super bien. Et les enfants sont impliqués aussi. Ils viennent sur le chantier, nous aident à démolir un peu, choisissent le plancher. C’est une histoire de famille !

Le Monstre vient d’être adapté à la télévision. Comment c’était de vous replonger dans cette histoire, en images cette fois ?

J’ai trouvé ça très difficile. Voir une fille qui me ressemble, ma famille, l’ampleur de la situation. J’avais juste envie de me prendre dans mes bras, comme tout le Québec a eu envie de le faire. J’ai été collaboratrice au contenu pour m’assurer que chaque maillon soit bien présent, parce que s’il en manque un, ce n’est pas de la violence amoureuse. Quand j’ai vu le premier épisode, j’ai versé toutes les larmes de mon corps. Je l’ai écouté avec mon mari, j’étais très émue.
Comment avez-vous accompagné les acteurs lors du tournage ?

J’ai rencontré Rose-Marie Perreault une seule fois avant le tournage. On a mangé des sushis et parlé pendant trois heures ! Je lui ai fait part de subtilités dans le jeu d’actrice qu’il était important de livrer pour que ce soit fidèle à ce que j’ai vécu et à ce que d’autres femmes vivent. Elle avait déjà fait un travail de recherche extraordinaire. Mehdi, lui, est venu chez moi, et je lui ai ouvert mes albums de photos. J’ai tout gardé. Il a pu voir M. Il m’a posé beaucoup de questions, et j’y ai répondu sans censure.

Est-ce plus difficile de tourner la page avec les livres, les conférences et la série, qui vous ramènent toujours à cette période difficile de votre vie ?

Au contraire, ça m’aide. La boucle est bouclée maintenant. J’ai brisé le silence et j’en ai tellement parlé que j’ai extirpé le mal de toutes les façons possibles. Ça m’a libérée. Je vis chaque moment dans la gratitude, en me disant que cette période m’a aidée à devenir la femme que je suis aujourd’hui.

Ingrid, merci beaucoup pour ces confidences et pour votre implication auprès des victimes de violence amoureuse.

SOS violence conjugale : 1 800 363-9010